Avant sa sortie, Far Cry 2 aura été l’un des jeux dont je suivais l’actualité avec le plus d’avidité. Chaque vidéo, chaque capture, chaque preview était bonne à prendre. Lors de sa sortie, je n’avais pas le matériel nécessaire pour faire tourner le titre, mais j’ai tout de même lu une pléthore de tests, qui, malgré leurs critiques parfois virulentes, m’ont fait garder espoir. Je me persuadais qu’au final, l’attente n’aura pas été vaine. Malheureusement, Far Cry 2 ne m’aura laissé qu’un goût amer dans la bouche, avec de nombreuses questions, toujours sans réponse.
Pour commencer, un petit rappel qui a son importance : Far Cry 2 n’a de Far Cry que le nom. Il s’agit d’un jeu développé en interne par Ubisoft, qui a racheté la licence. Il ne constitue en aucun cas la suite de Far Cry, développé par Crytek (mais déjà édité par Ubisoft). Si vous lui cherchez une suite, je vous conseille plutôt l’excellent Crysis, développé par Crytek et qui en reprend les lignes directrices.
Avant de parler du jeu stricto sensu, retraçons un peu son développement. C’est en juillet 2007 que Far Cry 2 a officiellement été annoncé. On savait déjà que le studio d’Ubisoft Montréal s’en occupait, que le jeu n’avait rien à voir avec le premier, et que l’Afrique serait vraisemblablement le lieu de l’action. Jusqu’ici, rien de bien folichon. Puis en octobre 2007, je suis tombé sur une vidéo de présentation de 25 minutes (en deux parties) qui m’a fait drôlement envie : des environnements ouverts et originaux, un moteur graphique à tomber et des affrontements rythmés car offrant plein de possibilités.
Ensuite, on a eu le droit à d’innombrables promesses des développeurs, dont l’exécution a mystérieusement disparu du produit final. En voici quelques unes :
- Un moteur graphique extraordinaire et ultra-détaillé (cf. ici) : certes, le jeu est joli (j’en reparlerai), mais le niveau de détail mis en avant par les développeurs ne se retrouve pas au final. La régénération de la végétation est peut-être présente, mais franchement, qui ça amuse de regarder un arbre repousser après l’avoir dépouillé de ses branches ? Bref, une innovation technologique qui ne sert à rien. Il y a aussi le système de météo dynamique, mais celui-ci est très peu mis en avant car il fait à peu près toujours le même temps dans Far Cry 2 : beau ou nuit. Je n’ai eu le droit qu’à une seule tempête, et bien moins violente que dans la vidéo. On peut aussi ajouter d’autres trucs comme la salissure sur les véhicules : c’est bien beau d’avoir une Jeep qui prend la boue, mais quand on se rend compte que l’on ne peut même pas lui exploser les pneus, ça fait tache.
- De nombreuses possibilités d’approche pour vos affrontements (cf. ici) : en gros, vous pourriez la jouer infiltration ou bien bourrin. Mais au final, l’IA étant extralucide, dès qu’une balle est tirée, tout le monde vous fonce dessus et ça se termine souvent en pugilat, à coup de grenades et de mitrailleuse. La propagation du feu était également mise en avant pour réduire en poussière toute une tripotée d’ennemis. Mais si le feu se répand, c’est de manière tout à fait timide, et deviner la direction de propagation est souvent impossible ; attention au retour de flammes, donc.
- Une durée de vie atteignant les 50 heures (cf. ici) : de ce point de vue-là, je ne regrette pas que la promesse n’ait pas été tenue. Il m’aura personnellement fallu 17h pour terminer Far Cry 2, en faisant quelques missions secondaires. Même en voulant tout finir, je vois mal comment atteindre les 50 heures, peut-être faut-il tout faire à pied…
- Une immersion renforcée par un body awareness (cf. ici) : pour toutes les actions contextuelles (monter dans une voiture, prendre un dossier, ou se soigner), le body awareness est bien présent. Mais partout ailleurs, il est impossible de voir la moindre parcelle de son corps, à l’exception de la main qui tient l’arme. Génial, l’immersion.
- Un choix totalement libre des missions (cf. ici) : au départ, on était censé pouvoir choisir la mission que l’on voulait à n’importe quel moment. Se rendant compte qu’une telle possibilité est incompatible avec un semblant de scénario, Far Cry 2 révèle au final une linéarité très banale : vous vous rendez là où il y a des missions à décrocher, et puis c’est tout. À plusieurs reprises, il n’y aura d’ailleurs qu’un seul choix. On nous promettait également un monde ouvert façon S.T.A.L.K.E.R. ; l’univers est certes vaste, mais les routes sont toutes tracées et on ne peut guère s’en éloigner à cause d’obstacles infranchissables comme des falaises.
Voilà pour les promesses non tenues. Désormais, place au jeu. Rapide présentation de son scénario et de son fonctionnement. Far Cry 2, c’est l’histoire d’un mec qui est envoyé dans un pays imaginaire d’Afrique pour tuer le principal trafiquant d’armes du coin, le Chacal. Dès son arrivée, sa cible lui fait comprendre qu’il n’est pas le bienvenu et qu’il va devoir cravacher pour atteindre son but. Tout le reste n’a pas vraiment de sens (jusqu’à la fin, pas trop mal par rapport au reste de l’aventure) et vous allez d’une faction à un autre, chacune vous proposant des missions avec des diamants pour récompense, ceux-ci vous servant à acheter armes et améliorations. Les dialogues sont nombreux et correctement doublés, mais il s’agit en réalité de monologues, votre personnage étant vraisemblablement atteint du syndrome Gordon Freeman car il ne décrochera jamais une seule parole.
La quasi-intégralité de vos missions consistent à :
- Aller à l’autre bout de la map : prendre un véhicule est plus que conseillé. Mais attention, il ne s’agit pas là d’une promenade de santé ou d’un safari parmi les zèbres et les éléphants. Non, ici, c’est la guerre, et tout le monde vous tirera dessus, peu importe pour qui vous travaillez. Vous traversez un poste de garde, on vous tire dessus et on vous poursuit jusqu’à ce que mort s’en suive ; vous croisez une voiture, elle ne vous lâchera pas. Ainsi, parcourir la savane de Far Cry 2 s’avère au début dépaysant puis devient vite très pénible : on ne peut pas faire 500 mètres tranquille, il y a toujours quelqu’un pour venir vous emmerder.
- Tuer un ou plusieurs mecs et éventuellement faire sauter quelque chose : après avoir tué plusieurs dizaines de combattants pour arriver à votre objectif, vous devez encore tuer tous ceux qui s’y trouvent. Les combats, sans être trop difficiles, sont très rébarbatifs car les développeurs ont eu la bonne idée de handicaper le joueur (voir un peu plus bas).
- Revenir au point de départ pour rechercher une autre mission.
Il y a 25 missions principales et une bonne cinquantaine de missions secondaires ; elles suivent toutes ce schéma-là. Je n’ai vu qu’une seule exception, la défense d’une barque fluviale. Dès lors, on en vient à se demander si le caractère répétitif ne serait pas l’apanage d’Ubi Montréal. Après avoir testé Assassin’s Creed et le dernier Prince of Persia, je me rends compte que le studio est très fort pour ce qui est d’oublier qu’un bon jeu est un jeu varié. Si la pilule de la répétitivité passe bien avec les deux premiers titres, elle en dévient écœurante avec Far Cry 2.
Un peu plus haut, je vous parlais des combats et des handicaps infligés au joueur pour pallier une intelligence artificielle faiblarde. À cet égard, j’ai imaginé une discussion au sein d’Ubisoft Montréal pendant le développement de Far Cry 2 :
– Hey les gars, vous avez lu les premières previews du jeu ? Ils arrêtent pas de dire que notre I.A. est moisie et que le jeu est vraiment trop facile.
– Ouais, mais faut dire aussi qu’on n’a pas travaillé dessus. Tous nos mecs sont sur les portages consoles.
– Va falloir trouver des solutions, et vite !
– Moi, j’ai une idée, chef ! Et si on faisait en sorte que les ennemis respawnent aux postes de garde juste après qu’ils se soient fait dézingués ?
– Pas mal, ça. Développe. Tu es développeur après tout.
– On pourrait aussi prévoir que tout le monde tire tout le temps sur le personnage principal. Comme ça, il serait toujours sous pression.
– On progresse. D’autres idées, les gars ?
– Et si on rendait les armes moins solides, capables de s’enrayer toutes les dix secondes ou même de nous exploser à la gueule ? Ça pourrait mettre le héros dans des situations pas possibles, ça. Et pendant qu’on y est, on pourrait donner une sorte de seconde vie aux ennemis, et le héros devrait les achever pour être sûr qu’ils soient bien morts.
– Bien vu, il nous faudrait encore un petit truc, et on est bon.
– Chef, comme on est en Afrique, on pourrait foutre la malaria sur le dos du perso. Il devrait alors se trouver des médocs et les syndromes de la maladie viendraient l’attaquer à n’importe quel moment.
– Nom d’un caribou [NDLR : on est à Montréal, je vous rappelle], t’es vraiment un génie ! Bossez chacun sur vos idées, et on fait une réunion là-dessus la semaine prochaine.
Vous l’aurez compris : tout est fait pour que vous soyez dans l’inconfort, la malaria constituant tout de même le plus gros WTF du jeu. Si vous ne voulez pas crever comme une merde, il vous faut des médicaments, que vous obtiendrez après avoir apporté des passeports à une famille africaine dans le besoin. C’est beau. La malaria, elle, peut se faire sentir n’importe quand : au volant ou même en plein combat. Il faut alors prendre vos cachets, quoi qu’il arrive. Une superbe idée, les mecs !
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Far Cry 2 n’a pas que des défauts. Son argument de vente est de taille, il s’agit du dépaysement de l’Afrique couplé au moteur graphique Dunia, largement mis en valeur par Ubisoft. C’est pour cela que le début du jeu est vraiment plaisant : chaque déplacement constitue un véritable plaisir et on se prend à s’arrêter pour regarder les paysages. Le résultat final est peut-être moins fin qu’un Crysis, mais Far Cry 2 a le mérite d’être deux fois plus fluide (littéralement) que celui-ci. L’optimisation n’a donc pas été oubliée, et je crois que l’on peut ici, une fois n’est pas coutume, remercier les consoles. Seuls défauts à corriger : une nuit pas vraiment réussie et un rendu de l’eau bien trop vaseux. Le reste a de la gueule : la végétation destructible, les explosions, les rayons du soleil et les panoramas de manière générale.
Et le multi ?
Plus par souci d’exhaustivité que par autre chose, j’ai décidé de m’essayer au multijoueur de Far Cry 2, et j’ai eu ce que j’attendais : les modes de jeu habituels avec au maximum 50 joueurs sur l’ensemble des serveurs, aux pings moyens mais néanmoins jouables. Le multi fonctionne un peu comme un Call of Duty, avec choix de classe et déblocage des armes et de leurs améliorations en acquérant des points d’XP. Ça pourrait presque être sympa, s’il y avait plus de monde. On notera tout de même qu’une communauté existe car certains serveurs tournent sur des maps customs, que je n’ai malheureusement pas réussi à télécharger. Trop dommage. On retiendra également l’intégration barbare de la publicité sur les maps officielles. Bref, un multi loin d’être mémorable.
Far Cry 2 se présente donc comme une grosse déception. Le jeu avait du potentiel, à n’en pas douter : un univers original, une optique bac à sable et un moteur qui tient la route. Oui mais voilà, il est bourré d’idées qui viennent complètement flinguer le plaisir de jeu. J’aurais aimé pouvoir parcourir cette région d’Afrique en toute quiétude, mais cela m’est impossible, les ennemis étant toujours à mes trousses. Et puis le manque de variété fait que l’arrivée du générique de fin représente presque une certaine libération ; je me suis d’ailleurs fait violence pour finir l’aventure, car je n’aime pas laisser traîner un jeu sans l’avoir fini. Il y a quelques jours, Ubisoft a confirmé que le développement de Far Cry 3 était en cours. Si les écueils évoqués ici sont en majorité corrigés et que la diversité est au rendez-vous, il pourrait s’agir d’un excellent jeu. Mais rien n’est moins sûr, alors croisons les doigts. Très fort.